Congé non désiré (Libre !)

Will avait une journée de congé, c’était tellement rare qu’il aurait pu y mettre une pierre blanche sur son calendrier. Geste inutile, car la pierre n’aurait pas tenu sur un calendrier pendu à la verticale sur un mur, mais bon… Rah c’était plus fort que lui, il fallait toujours qu’il cherche une logique dans des expressions qui n’en ont pas. Comme le feu au lac et bien d’autres. Fichu paradoxe illogique.

Oui, c’est exactement ce qu’il pensait alors qu’il observa son calendrier pendant qu’il finissait son café de bon matin. C’était moins gonflant que de se demander ce qu’il allait faire de sa journée. Trainer à l’appart pourrait être une option, mais au final, pas du tout pratique dans la mesure où il n’avait qu’une vieille ps2 pour s’occuper l’esprit et pas de chaîne sur sa télé. Oui, il avait Internet, mais rien à faire dessus et personne avec qui parlait. Son téléphone personnel ne servait plus à grand-chose depuis un trois semaines, éteint faute de rechargement et le téléphone professionnel ne semblait pas sonné, personne semblait avoir besoin de l’intervention de l’infirmier aujourd’hui.

Un soupir.

- Que faire ?

C’étaient ses mots. William n’avait pas l’habitude d’avoir du temps libre. Il n’aimait même pas ça. Car il ne voulait pas se faire d’amis, refuser systématiquement les invitations à boire un verre et sa seule discussion du jour, c’était pour dire « garder la monnaie » à la vendeuse en boulangerie. Surement la chose la plus utile qu’il ait faite, évitant ainsi un encombrement partielle de son portefeuille avec des petites pièces dont on ne savait même plus quoi faire ensuite.

Ce fut après une petite introspection, s’être habillé d’un jean/t-shirt et manteau. Qu’il décida de se rendre vers le centre commercial. L’idée d’y faire quelques achats pratique ne serait pas mauvaise et il ne gâcherait pas son temps à jouer à Jak and Daxter 2 pour la sixième fois en deux ans. L’endroit semblait immense, toujours autant que la dernière fois. Will dressa rapidement une liste mentale de ce qu’il lui fallait. Quelques ustensiles de cuisine, des nouveaux pantalons et quelques dvd pour tuer le temps… Car ouais, il y a encore des gens qui achètent ces machins de nos jours. Il se mit à marcher, mais rapidement, son attention se porta sur un vendeur de crêpe non loin et son ventre gargouilla… Il n’avait même pas mangé ce boulet.

- Autant commencer par prendre des forces !

La chance voulue qu’il arrive en même temps qu’une autre personne. Poli comme toujours, Will s’écarta et invita l’inconnu(e) à passer devant lui en observant la pancarte des différents nappages disponible.

- Allez-y passer. Je ne me suis même pas encore décidé !

Pitié, faite que cette personne ne soit pas pris par ce même élan de politesse, car ils n’en finiraient plus après !

Heureusement, une telle chose n'allait pas arriver avec son interlocutrice du jour. La jeune fille brune ne se laissait pas prier davantage pour prendre sa commande. Elle fit donc un pas en avant pour parler au serveur. Toutefois, après une microseconde, elle fit volte-face pour répondre d'une jolie voix au jeune homme si poli : "Je vous remercie, monsieur."

Elle ponctua son remerciement d'un sourire avenant. Son visage poupin contrastait quelque peu avec son assurance, le port altier de sa tête et son regard franc. Aussitôt dit, elle oublia cet inconnu rencontré dans une file d'attente pour commander une crêpe à la confiture de fraise, un léger compromis entre la gourmandise et l'équilibre alimentaire. En cet instant, elle ne pensait qu'à une chose : poser son lourd sac et se remplir le ventre en oubliant la déception d'avoir écourté sa sortie entre amis.

La jeune fille était frustrée mais encore sur la scène publique. Il était trop tôt pour rentrer, autant se détendre un brin toute seule, le temps d'équilibrer son humeur avant de réfléchir à comment rebondir. Elle récupéra son achat et choisit la table la plus propre avant de poser son sac en carton, chargé de vêtements et de divers articles. Une pelote de laine rose dépassait du sac. La belle lissa sa robe d'hiver et réarrangea son chignon. Une mèche de cheveux rebelle pouvait nuire à sa belle image.

Tout était parfait désormais. Elle contempla son assiette en carton garnie d'une crêpe bien chaude un instant et sentit déjà son humeur s'améliorer. Il ne lui manquait que quelqu'un pour partager son repas. Elle se demanda furtivement si l'homme seul derrière elle avait fait son choix et le chercha des yeux. Elle espérait qu'il s'assit sur une table proche, ainsi elle pourrait discuter avec lui pour passer le temps. "Je vois que vous avez finalement décidé, monsieur." dit-elle pour embrayer la conversation. Elle n'avait pas trop peur qu'il la rembarre. Qui pouvait résister à son charmant sourire ? Dans le pire des cas, il répondrait factuellement et leur échange s'arrêterait là.

Tant de choix et si peu à la fois. Will ne pouvait se prendre qu’une crêpe, non pas qu’il n’en avait pas le moyen pour une seconde bien au contraire avec tout l’argent non utilisé qu’il avait de côté. Mais plutôt qu’il tenait à éviter de faire trop d’entorse en journée à son équilibre alimentaire déjà bien précaire. Will avait aussi tendance à beaucoup trop réfléchir dès l’instant où il se concentrait un peu trop sur quelque chose, conséquence de son pouvoir qui en devenait presque la pire des malédictions par instant.

La jeune femme qu’il avait laissé passer ne fit pas autant de compromis et choisit bien vite une crêpe avec de la confiture. Ce qui permit au jeune homme de trancher, non pas de confiture. Plutôt une bonne dose de chocolat, ça faisait longtemps. William put enfin libérer le pauvre vendeur de sa présence en payant son bien.

Cependant, avant même de pouvoir repartir, la jeune femme qui s’était installée à une table lui fit signe en constatant qu’il avait visiblement choisi. William rigola, un peu gêné sur le coup.

- Oui, je suis vraiment infâme quand je dois faire un choix et encore là, c’était que pour une crêpe. Imaginé pour un sandwich ?

Il plaisanta et s’installa à la table juste à côté tout en s’excusant.

- Pardon, si je vous ai fait attendre quand vous étiez derrière moi.

C’est vrai, Will n’aimait pas être gênant, pour qui que ce soit. Le jeune homme entama donc sa crêpe tout en profitant du goût dont il n’avait plus l’habitude. La chance voulu cependant qu’un gamin un peu trop actif passe entre les deux tables et tape dans le coude de la jeune femme pendant qu’elle mordait dans la sienne, impliquant donc de la confiture partout sur une joue. William, voyant la scène, ne put s’empêcher de rire doucement avant de prendre une de ses serviettes et de lui tendre.

- Tenez, vous en avez plus besoin que moi, je crois. Pardon, pour le rire, c’était plus fort que moi.

Peut-être aussi le léger choc qui avait déstabilisé son pouvoir un petit peu n’y aida pas. Cependant, il se reprit bien vite en attendant qu’elle lui réponde.

Le jeune homme était sympathique puisqu'il lui répondit sur le même ton léger. Carmen arrivait à imaginer le mal que cela pouvait être de choisir les ingrédients d'un sandwich. La tâche pouvait être très compliqué selon ses exigences, savoir varier d'un jour à l'autre tout en obtenant un mélange savoureux… Pour l'instant, elle avait sa crêpe à déguster et c'était déjà réjouissant.
« Il n'y a aucun problème. J'en ai profité pour choisir la mienne. répondit-elle aux remords de son interlocuteur et illustre inconnu. « Mon nom est Carmen, et vous ? »
Il était rare que son nom évoquât déjà quelque chose aux inconnus, elle n'était encore connue que par les consommateurs de certains bars. Et la plupart des clients n'écoutaient pas les crédits. Elle réfléchissait encore à la manière d'agrandir sa renommée.

Songeuse, elle porta posément une fourchetée de pâte sucrée à sa bouche-- avant d'être bousculée par un enfant turbulent.
Ces morveux décérébrés ! ragea intérieurement Carmen.
Heureusement, la fourchette ne l'avait pas blessée, juste salie. Et voici déjà qu'un gentilhomme – après s'être moqué d'elle – lui tendait un mouchoir. C'était inutile : elle avait déjà les mouchoirs jetables du vendeur et son mouchoir personnel en tissu brodé. Mais il aurait été impoli et inutile de le lui faire remarquer et de lui ôter son sentiment d'utilité. Elle décida de le remercier avant de...

Sermoner le responsable de la tâche. Elle se décida à élever la voix : « Eh, petit. Reviens ici pour t'excuser tout de suite ! » Et l'enfant obéit, bien sagement, car tel était le pouvoir magique de Carmen.

La scène était assez amusante au fond, qui aurait pu s’attendre à ce qu’elle dérape aussi rapidement. Will était simplement installé en train de manger sa crêpe quand un enfant bouscula sa voisine qu’il avait laissé passer quelques instants avant. William se souvint alors de sa propre enfance, il n’était pas un gamin turbulent, mais son amie d’enfance en revanche l’était beaucoup plus.

La scène prit une tournure un peu … étrange quand la jeune femme ordonna presque au gamin de venir s’excuser. William avait remarqué que le ton s’était un peu durci, un enfant normal se serait enfui non ? Ce gamin était décidément soit trop bien élevé, soit apeuré par la situation. Will soupira, hésitant un petit moment avant de se lever doucement pour poser une main sur la tête du gamin en observant la cliente. Employant un ton plus sympathique, moins sérieux dans l’idée de désamorcer tout ça.

- Bon allé, c’est qu’un gamin, il n’a pas fait exprès. Puis c’était clairement qu’un petit accident de rien du tout.

C’était vrai, un peu de confiture n’avait jamais tué qui que ce soit. Will fit un sourire au petit avant de lui dire sur un ton rassurant.

- Tu devrais retrouver tes parents, allé filer.

Avant de reporter son attention sur la jeune femme, affichant toujours un sourire rassurant et espérant que cela suffirait pour mettre fin à cette situation. Après tout, il n’y avait pas besoin de s’emporter pour si peu et qu’il n’y avait vraiment que l’ego qui en avait pris un coup. Il proposa même sur un ton amical.

- Je peux vous repayer une crêpe si vous voulez, considérer ça comme les excuses du petit.

En parlant du petit, il était encore la… Pourquoi, il ne bougeait pas ? Will lui avait bien dit de partir alors… Il haussa doucement les sourcils et observa la cliente avec un air interrogateur… Elle ne faisait pas aussi peur pourtant.

Carmen haussa un sourcil devant l'intervention "pacifique" -- voire paternaliste -- du jeune homme. Est-ce qu'il insinuait qu'elle agissait en hystérique à réclamer une excuse au gamin ? C'était une question de savoir-vivre que d'apprendre, dès le plus jeune âge, que même si le mal était "un accident de rien du tout" il fallait au moins s'enquérir de l'ampleur des dégâts, signaler que l'on considérait et que l'on respectait la victime de notre maladresse ; sinon l'on apprenait petit à petit à marcher sur les pieds des autres sans s'en soucier.

Ou était-ce parce que c'était un garçon ? C'était bien connu, les garçons étaient des petits écervelés complètement opaques à leur environnement.* Non : pour Carmen, que l'on soit fille ou garçon il fallait faire un effort. Chacun devrait être logé à la même enseigne. Elle lui rendait service sans l'humilier en lui demandant des excuses.

Pour l'heure, l'inconnu retenait l'attention du gamin, l'empêchant d'obéir à son ordre. Il y avait de fortes chances que sa mémoire perde en clarté s'il continuait. Carmen fit donc un signe à l'enfant, ignorant complètement l'offre "généreuse" de l'homme témoin de la scène. Qu'avait-elle besoin d'une crêpe ? Ce qu'elle voulait c'étaient des excuses.**

La garçon s'excusa enfin :
« Désolé, m'dame… »
Etait-il mort ? Venait-il de vendre son âme à la sorcière ? Que nenni. Le pouvoir de Carmen s'en alla et l'enfant retrouva sa volonté propre. La jeune fille, momentanément muette à cause de l'utilisation de son pouvoir lui fit signe qu'il pouvait disposer.
C'était fini.

Pas tout à fait. Carmen avait un défenseur de la gente impotente devant elle. Il lui avait fait une proposition à laquelle elle devait répondre. Elle dût se contenter de le regarder avec yeux de biche en haussant les épaules. Elle espérait qu'il comprenne son geste sans qu'elle ait à se justifier verbalement. Elle était un tantinet bloquée. Et elle ne voulait pas trahir le secret de son pouvoir magique qui était intime et sujet à controverse.

* ironie très grinçante plus de vitriol !
** même qu'on en a fait un drame indien sur le sujet