Mesures justifiés (Pv Isabella)

Isabella nageait en plein cauchemar. La pire semaine de sa vie. Trois jours plus tôt, elle était sortie comme de coutume la nuit tombée pour promener Talys. Elle s'était rendue près de chez elle au parc désert à cette heure-ci où elle avait ôté la laisse de la chienne pour qu'elle puisse s’ébattre à loisir. Alors que le berger malinois gambadait joyeusement, un homme avait surgi dans le parc et attendri par la boule de poils, il avait voulu s'en approcher pour la caresser, malgré les exclamations d'Isabella qui lui demandait de s'éloigner car sa chienne était très craintive. L'homme n’avait pas voumu entendre raison, à base de « J'ai l'habitude d'y faire avec les bêtes, vous en faites pas. » Et c'est là que le cauchemar avait débuté. Talys, effrayée, avait détalé en sens inverse, direction la route. Une voiture était arrivée à ce moment-là. Le conducteur n'avait pas eu le temps de freiner et avait percuté de plein fouet Talys.

La suite s’était enchaînée à toute vitesse pour Isabella tétanisée de perdre son animal. Trop tard pour pouvoir se rendre chez son vétérinaire habituel, elle avait fait appel au vétérinaire de garde le plus proche qui avait pris en charge la chienne en urgence. Isabella avait passé la nuit sur place, incapable de se résoudre à rentrer chez elle sans avoir de nouvelles de Talys. L’opération achevée, le vétérinaire l’avait rassurée : la chienne s’en sortait plutôt bien : une patte et deux côtes cassées et les diverses plaies n’étaient pas trop inquiétantes. Les antibiotiques devraient permettre une cicatrisation rapide.  

Isabella avait immédiatement évoqué les difficultés qu’elle aurait à payer pour les soins qui s’annonçaient à un prix bien au-delà de ce qu’il restait sur son compte bancaire. Le vétérinaire l'avait apaisée en lui disant qu’elle pourrait payer en plusieurs fois, venir rendre visite à Talys le lendemain et la récupérer le surlendemain si tout allait bien. L’italienne était rentrée chez elle, la mort dans l’âme et était partie travailler sans avoir fermé l’œil de la nuit. Elle était retournée le soir pour voir son animal. Elle eut le cœur crevé en voyant sa boule de poils toute enroulée de bandages, peinant à se déplacer avec son attelle à la patte et encore toute affaiblie par l’anesthésie et les médicaments. Elle resta aussi longtemps qu’il lui fut autorisé. Elle avait en horreur l’idée de devoir laisser Talys là une nuit supplémentaire dans une cage. Jamais sa chienne n’avait été enfermée en cage. L’idée était insupportable pour Isabella mais elle n’avait pas d’autre choix que de se soumettre au vétérinaire qui voulait la garder une nuit de plus en observation pour s’assurer qu’il n’y avait d’effets indésirables suite à l’opération.  

De retour chez elle, elle avait croisé Sam avec qui elle avait passé un moment pour lui raconter ses mésaventures. Son voisin semblait sincèrement désolé pour elle. Ça lui fit du bien de pouvoir se confier à une oreille bienveillante et elle parvint un peu à dormir cette nuit-là.

Le lendemain enfin, elle pouvait récupérer Talys. Épuisée par son manque de sommeil, mais réjouie de pouvoir enfin rentrer avec sa précieuse compagne de vie, elle retourna chez le vétérinaire. Celui-ci l’accueillit avec la note de frais. Isabella contempla effarée le document où la liste de frais semblait interminable : radiographie, anesthésie, opération chirurgicale, frais de garde, attelle, médicaments… La note s’élevait à 1600€, soit un peu plus que le salaire d’Isabella. Elle était en rogne, car le vétérinaire ne l’avait pas prévenue des frais supplémentaires que causait la garde de Talys sur place. Payer pour avoir sa chienne en cage, sans même être prévenue, alors qu’elle aurait pu la récupérer un jour plus tôt était inacceptable. L’italienne en fit la remarque au vétérinaire en essayant de garder son calme. Celui-ci se défendit en expliquant que c’était la procédure, blabla… Il lui proposait de régler en trois fois. Soit trois fois 530€.  La jeune femme déglutit. Elle demanda, presque suppliante, s’il était possible de payer en quatre ou cinq fois car elle n’avait pas une telle somme à payer aujourd’hui. Le vétérinaire fut catégorique, payer en trois fois était déjà leur meilleure offre. Isabella glissa à contre-cœur sa carte bancaire dans le lecteur et entra son code. Le paiement fut refusé… Elle dépassait son découvert autorisé. Elle tenta de négocier pour une plus petite somme et payer le reste dès qu’elle aurait l’argent. Le vétérinaire lui demanda de revenir quand elle aurait la somme attendue. Isabella atterrée demanda à récupérer sa chienne. Non, elle devait revenir quand elle aurait l’argent si elle voulait repartir avec Talys. Elle en tremblait de rage. Elle avait envie de se jeter au cou du vétérinaire, de tout saccager dans la clinique. Mais elle se maîtrisa et se contenta de partir en hurlant que c’était inadmissible, inhumain et qu’il aurait des nouvelles d’elle.

Sur le chemin du retour, ses pensées bouillonnaient, oscillant entre rage et désespoir. Elle ne pouvait s’arracher à l’image de Talys, seule dans une cage au milieu d’autres chiens eux aussi enfermés dans l’attente de leur maître. En prison. On détenait sa chienne en prison. C’était monstrueux. Un vétérinaire qui vouait sa vie aux animaux, comment pouvait-il être aussi insensible ?! Pour de l’argent ?! C’était quoi son problème, sérieusement ?! Et si ça se trouve, il allait en plus lui facturer le temps où il gardait encore Talys prisonnière. Il fallait à tout prix qu’elle trouve l’argent pour sortir Talys de là au plus vite. Elle n’avait personne à qui demander de lui prêter de l’argent, pas d’ami suffisamment proche, sa mère, même pas la peine d’y songer… Elle ne pouvait pas attendre sa prochaine paie les bras croisés. Elle devait trouver un moyen de gagner rapidement de l’argent. Pour n’importe quel petit boulot, que ce soit du babysitting, du ménage ou autre, le temps de mettre une annonce, d’avoir une réponse, de recevoir l’argent, ce serait beaucoup trop long… Pareil si elle revendait quelque chose de son appartement… Horrifiée par sa propre idée, elle réalisa que la seule option qui lui paraissait valable pour aligner rapidement l’argent serait de se prostituer.

Elle arriva encore tremblante dans la cage d’escaliers et ne vit même pas Sam devant sa boîte aux lettres. C’est la voix du jeune homme qui la ramena à la réalité. Elle répondit d’une voix étouffée par l’émotion :

- Ouais… Talys va mieux…

Alors qu’elle s’apprêtait à rentrer chez elle, le jeune homme s’approcha, voyant bien que quelque chose ne tournait pas rond et la questionna. Isabella faillit l’envoyer boulet et rentrer chez elle à la hâte s’effondrer, pleurer toutes les larmes de son corps et trouver seule une solution à son problème. Mais voyant l’air bienveillant de Sam, elle craqua et laissa tout sortir en flot, parlant à toute vitesse, enragée.

- Je reviens de chez le véto… Ce putain de connard veut pas me laisser repartir avec Talys ! Y en a pour 1600 balles ! Il veut que je paye en trois fois, mais même comme ça, c’est trop pour moi ! Ma carte est pas passée. J’lui aurais donné tout l’argent du monde, mais je l’ai pas cet argent ! Et tant que je le paye pas, il veut pas que j’récupère ma chienne. Tu t’rends compte ?! Elle est là, enfermée dans une cage depuis déjà deux jours. Et lui, pépère, il me dit de revenir quand j’aurais le fric ! Il est cinglé ! J’lui ai demandé de payer ce que je pouvais aujourd’hui et le reste plus tard. Il veut pas ! En plus, il m’a même pas prévenue qu’il facturait le temps où Talys reste sur place. Et là, il va la garder encore combien de jours jusqu’à ce que j’ai l'argent ?! Il va me facturer ça ?! J’sais pas quoi faire, Sam… Je pète les plombs, j’te jure, j’ai envie de le buter !

Isabella n'était pas sérieuse lorsqu'elle disait vouloir tuer le vétérinaire. Elle avait lâché ça sans réfléchir sous le coup de la colère. Cependant, Samuel avait l'air autrement plus sérieux lorsqu'il parla de le faire tomber. Ayant pu déverser toute sa rage en un flot de paroles sur son voisin, Isabella redescendit légèrement en tension, intriguée par la réaction de Sam. Elle ne le connaissait pas depuis longtemps et ne lui avait encore jamais vu un air aussi sérieux. Il semblait absorbé dans ses pensées, dans une réflexion profonde. La suite, la surprit encore plus.

Un moyen de récupérer son chien sans payer ? Tenir sa langue ? « Faire tomber » le vétérinaire ? Qu'est-ce qu'il avait derrière la tête ? Samuel voulait-il faire payer au vétérinaire ses escroqueries ? De quelle manière ? Isabella se souvint comment il avait crocheté la serrure de son appartement lorsqu'elle s'était retrouvée coincée dehors. Ce jeune homme avait plus d'un tour dans son sac et n'avait de cesse de la surprendre. Visiblement, il avait des choses à cacher. Peut-être dissimulait-il un trafic pas très légal... Allait-il encore la sauver miraculeusement avec un tour de passe-passe ? Cette rencontre était décidément un cadeau du ciel.

L'italienne avait pour habitude de faire les choses de manière « réglo » et surtout de se débrouiller seule, de trouver elle-même les solutions à ses problèmes. Mais quand il s'agissait de ses animaux, elle était prête à tout : mettre sa fierté de côté, prendre l'aide qu'on lui offrait, garder n'importe quel secret, passer outre les lois... Elle fixa le regard posé sur elle, ces yeux à l’inhabituelle couleur grise.

- Je... Je suis prête à tout pour Talys. Je sais pas ce que t'as derrière la tête, mais tu peux compter sur moi pour tenir ma langue.

Elle brûlait de connaître le plan de Samuel.

Lorsque Samuel demanda à Isabella s'ils pouvaient rentrer chez elle, elle s'exécuta pour le faire entrer et refermer soigneusement la porte derrière eux, à l'abri des oreilles indiscrètes. De toute évidence, ce qu'il allait lui révéler devait rester secret. La jeune femme s'assit dans son canapé, les deux oreilles grandes ouvertes. Chaque fois qu'elle rentrait chez elle depuis trois jours, elle avait un pincement au cœur, car Talys n'était plus là pour l'accueillir. Il était temps d'y remédier et visiblement son voisin comptait bien agir en ce sens.

L'italienne l'observait pensif arpenter son appartement, avant de prendre un ton grave pour lui avouer qu'il n'avait pas été sincère avec elle la première fois. En temps normal, Isabella aurait pu s'offusquer, mais dans la situation actuelle, elle l’écoutait attentivement, sans aucun jugement, plutôt flattée même qu'il lui avoue son secret. L'homme avait beau choisir ses mots avec précaution, elle comprit qu'il lui arrivait d'entrer par effraction dans des bâtiments pour commettre des vols. Elle comprenait mieux sa facilité à crocheter des serrures. Il prit la peine tout de même de préciser qu'il avait certains principes, un sens de la justice en quelque sorte. Ces précisions étaient inutiles pour Isabella qui appréciait suffisamment son voisin pour  ne pas le juger. Elle avait déjà expérimenté l'altruisme de Sam pour savoir qu'il était le premier à rendre service à quelqu'un dans le besoin. Et une fois encore, il lui prouvait. S'il savait peut-être user de ses « talents » à des fins frauduleuses, il savait aussi s'en servir pour venir en aide. Peut-être une manière d'équilibrer son karma ?

- T'en fais pas. Avec moi ton secret est bien gardé. Je te suis suffisamment redevable pour pas te faire un sale coup par derrière. Tu peux bien t'infiltrer et « réquisitionner » qui tu veux, où tu veux... Ça me regarde pas !

Malgré sa petite humeur, elle s’efforça de rendre à Sam son sourire tout en continuant de l'écouter. Elle ne pouvait le contredire. Cette saleté de vétérinaire était clairement un escroc. Et s'il y avait un moyen de lui faire payer, elle était toute ouïe. Elle pourrait retrouver sa chienne dès ce soir s'il parvenait à ses fins ? Cela lui semblait incroyable. Il voulait s'infiltrer chez le vétérinaire pour récupérer Talys ? C'était complètement inconscient ! Tous les autres chiens présents allaient hurler à la mort... Le moyen le plus sûr pour se faire repérer. Et même si, admettons, il parvenait à récupérer Talys... Le vétérinaire aurait vite fait de remonter jusqu'à Isabella et les conséquences risquaient d'être désastreuses... Elle n'avait aucune envie de passer devant la justice pour vol de chien. Son chien.

Samuel se permit de lui rappeler la note qui risquait d'augmenter s'ils n'agissaient pas. Isabella encaissa douloureusement. Elle ne savait que trop bien combien la situation était financièrement compliquée pour elle. Un peu amèrement, elle répondit :

- Je sais... Qu'est-ce que tu proposes alors ? Tu veux aller chez le vétérinaire pendant la nuit récupérer Talys ? Ça me paraît me paraît risqué... Mais je t'écoute.

Isabella attendait que Samuel lui révèle son plan... Elle commençait presque à regretter d'avoir accepté son aide, craignant les risques qu'ils allaient peut-être encourir. Mais elle essayait de garder foi en lui, espérant encore un de ses grandioses tours de passe-passe.

Samuel précisa que pour lui le vol c’était de l’histoire ancienne. En attendant, il n’avait toujours pas d’emploi, ce qui pouvait interroger ses sources de revenu… Mais encore une fois, Isabella n’en avait que faire.

Elle fut soulagée de l’entendre dire que l’idée n’était pas de voler directement Talys. Il n’était pas totalement inconscient et avait l’air de savoir ce qu’il faisait. La jeune femme s’apaisa, d’autant plus intéressée de connaître la suite. Le plan de de l’américain était bien plus ingénieux que tout ce qu'elle avait pu imaginer. Elle se réjouit à l'idée de retrouver sa chienne chez son vétérinaire habituel en qui elle avait entière confiance.

- Oui, bien sûr ! J’ai le même vétérinaire depuis trois ans pour tous mes animaux. Il est complètement réglo et un amour avec les bêtes. Ça m’est déjà arrivé d’avoir des difficultés à le payer, mais je comme je suis une cliente habituée, il me laisse payer en autant de fois que nécessaire. Ce serait génial de pouvoir récupérer Talys chez lui !

Elle écouta la suite, fascinée par l’ingéniosité et les ressources de son voisin. Même s’ils trouvaient un moyen de récupérer plus rapidement Talys, elle avait quand même prévu de payer plus tard le vétérinaire. Mais l’option de faire disparaître la facture était encore plus alléchante. Après tout, elle n’aurait pas de scrupule à ne pas débourser un sou pour une crapule pareille. Il devait déjà s’en mettre plein les poches vu sa manière de fonctionner.

- Un jeu d’enfant, vraiment ? Wah Sam… t’es un vrai génie en fait ! Je valide ton plan à 200% !

Isabella n’avait pas masqué son admiration. Alors qu’elle était d’une humeur massacrante depuis deux jours, l’intervention de Sam lui mettait du baume au cœur et elle commençait à retrouver le sourire. Elle se sentait même un peu excitée et sadiquement satisfaite à l’idée de pouvoir faire un coup pareil au vétérinaire qu’elle avait maudit de tout son être en apprenant qu’elle ne pourrait pas retrouver sa chienne.

L’américain poursuivit tranquillement en parlant des caméras qui poseraient peut-être un souci mais il n’avait pas l’air inquiet outre mesure. Visiblement, il trouvait toujours une solution pour arriver à ses fins. Un grand sourire illumina le visage d’Isabella. La solution, elle l’avait déjà toute faite et elle était ravie d’enfin pouvoir proposer son aide. Ce n’était pas évident pour elle, de laisser entièrement le sort de sa chienne entre les mains de son voisin et elle mettait son égo de côté pour accepter cette main tendue dans un moment de détresse.

- Je crois que j’ai la solution… J’ai un pouvoir qui me permet de faire buguer n’importe quel système électrique. Ce serait un jeu d’enfant pour moi de désactiver les caméras avant d’entrer… Enfin… Si tu acceptes que je vienne avec toi, bien sûr… J’voudrais pas faire cafouiller tes plans… Mais après, je pourrais aussi monter la garde pendant que tu fais ce que tu as à faire.

Isabella avait pris un malin plaisir à reprendre l’expression utilisée quelques minutes plus tôt par Samuel. Elle priait pour qu’il accepte son aide. Elle avança un argument supplémentaire pour jouer en sa faveur. Mais pour une fois, son pouvoir pouvait avoir une réelle utilité qui ne serait pas juste d’emmerder son monde comme elle avait plutôt coutume de s’en servir…

À la demande de son voisin, Isabella nota sur un morceau de papier les coordonnées de son vétérinaire habituel avant de le tendre à Samuel, confiante. Il lui apprit ensuite qu'il devait son savoir-faire à celui qui lui avait tout appris. Décidément, il se livrait plus dans cette conversation q'il ne l'avait jamais fait au cours de toutes leurs rencontres précédentes. Isabella était curieuse de savoir de qui il s'agissait. Peut-être était-ce le même père adoptif qui lui avait appris à crocheter les serrures ? Si ce père adoptif existait vraiment et qu'il n'avait pas était une invention de Sam lors de leur première rencontre pour masquer la vérité. Toujours était-il qu'Isabella n'osa pas demander, car ce n'était pas le moment approprié pour se raconter leurs vies. Ils avaient du pain sur la planche.

L'américain parut surpris de la révélation d'Isabella. Pour elle qui avait toujours vécu à Blanchisa, les pouvoirs avaient toujours fait partie de son quotidien. Elle ne s'en étonnait pas vraiment et ne faisait pas de son pouvoir un secret, à part lorsqu'elle voulait nuire en douce à quelqu'un. Mais Samuel qui venait d'arriver n'était sûrement pas aussi coutumier. Elle se demandait d'ailleurs si lui-même était doté d'un pouvoir. Peut-être quelque chose qui lui servait à toujours réussir ses vols ? Un pouvoir d'invisibilité ? Si c'était le cas, il n'aurait pas mentionné les caméras comme problème potentiel... Peut-être Isabella aurait-elle l'occasion de découvrir son pouvoir dans la nuit, si tant est qu'il en possédait un. Il lui demanda si son pouvoir était suffisamment précis pour ne toucher que les caméras sans atteindre le système d'alarme. Isabella bloqua un instant sur la question. Il est vrai que parfois le résultat obtenu n'était pas toujours celui escompté. Il fallait qu'elle y aille doucement pour ne pas risquer de griller tout le système électrique de la clinique et surtout il ne fallait pas que le système de sécurité soit tout proche des caméras, sinon elle risquait de l'affecter en même temps.

- Heu... Si le système de sécurité est pas collé aux caméras, ça devrait le faire... Normalement... Je grillerais les caméras une par une pour pas risquer de faire tout griller d'un coup.

Surtout, il ne faudrait pas énerver la demoiselle au moment de se charger des caméras, car c'était souvent sous le coup de l'émotion que son pouvoir dégénérait. Au moins, Samuel acceptait de faire équipe avec elle « pour cette fois » précisait-il. Dans tous les cas, Isabella comptait simplement récupérer sa chienne, elle n'avait pas prévu de se spécialiser dans le cambriolage. Il lui demanda d'enfiler ce qu'elle avait de plus discret pour l'occasion et de le rejoindre dehors quand le soleil serait couché. Il annonçait une longue nuit pour eux et une longue journée pour le vétérinaire le lendemain, ce qui fit sourire la jeune femme.

- Ça marche ! À toute !

Samuel repartit vite en direction de son appartement. La nuit était déjà en train de tomber. Isabella s'inquiéta de l'heure et surtout lui vint l'idée qu'elle-même s'était rendue chez le vétérinaire en pleine soirée pour Talys. Elle attrapa aussitôt son téléphone pour vérifier en ligne les horaires du vétérinaire et surtout s'il n’était pas de garde ce soir-là. Bonnes nouvelles : la clinique fermait à 18h30 et n'était pas de garde. Rassurée, l'italienne se dirigea vers sa garde-robe à la recherche de quelque chose de discret. Au bout de quelques minutes, elle finit par se décider pour un jean gris, un sous-pull noir et un gilet noir. Elle enfila le tout et noua ses cheveux en une simple queue de cheval. Elle fit quelques caresses à ses chats et sa rate en attendant le coucher du soleil, et quand enfin il fit nuit et que seuls les lampadaires éclairaient la rue, elle sortit rejoindre Samuel, en prenant bien soin de ne pas oublier ses clés cette fois. Le jeune homme l'attendait déjà dehors.

- J'ai vérifié que le vétérinaire était pas de garde ce soir. C'est bon on est tranquilles. Et ça ferme à 18h30 donc il devrait plus y avoir personne si tout va bien. C'est à 15 minutes à pied. Ça va si on y va en marchant ? Ou t'as prévu une voiture pour te barrer en vitesse si y a un problème ?

Isabella se posait plein de questions sur la manière de procéder de Samuel. Elle commençait légèrement à appréhender et priait sa bonne étoile pour que tout se passe bien. Elle s'en remettait entièrement à son voisin.

Les deux jeunes gens prirent la direction de la clinique dans la pénombre du crépuscule. Isabella les guidait pour arriver à destination. Pendant le trajet, Samuel lui indiqua quelques consignes à respecter, qui pour la jeune femme allaient de soi. Même si elle avait plus que tout au monde envie de retrouver sa chienne, elle savait qu'elle ne pouvait prendre le risque d'aller la voir avec tous les autres chiens qui se mettraient à aboyer comme des dingues, le meilleur moyen pour se faire repérer. Évidemment, elle ne comptait toucher à rien, ne souhaitant pas laisser de trace de leur venue. Elle acquiesça en silence. Samuel savait ce qu'il faisait, elle non, elle se contenterait donc de suivre à la lettre ses instructions. Ils achevèrent leur marche en silence. Même l'italienne, d'habitude si bavarde, ne prononça un mot. Plus ils approchaient, plus elle sentait son cœur battre fort dans sa poitrine. Si on lui avait annoncé qu'elle allait un jour rentrer par effraction dans une clinique vétérinaire, elle ne l'aurait pas cru. Tout était allé très vite depuis le moment où Samuel lui avait proposé son aide, et voilà qu'ils étaient déjà sur le point de commettre leur délit. Elle ne se sentait pas prête, mais il n'y avait plus vraiment le choix, ce n'était pas le moment de faire demi-tour.

Une fois sur place, Samuel commença par observer les environs et désigna à Isabella les caméras municipales qui surplombaient la rue devant la clinique. Elle s’exécuta, en restant le plus calme possible pour désactiver les machines sans court-circuiter toutes les lignes de la rue. Elle fut soulagée de voir un petit voyant s'éteindre sur l'une des caméras, tandis que les lampadaires avoisinants restaient allumés.

L’américain se dirigea vers la porte du personnel, Isabella sur ses talons. Tout comme lui, elle regardait partout pour vérifier qu’il n’y ait pas d’autres caméras. La porte s’ouvrait à l’aide d’un digicode. Isabella assista alors avec étonnement à la suite. Elle perçut un changement de couleur des yeux de Samuel qui devinrent brillants dans le noir. Elle ne put s’empêcher de songer à sa mère dont les yeux changeaient de couleur en fonction de ses émotions. Mais de toute évidence, il ne s’agissait pas du même phénomène, car suite à la modification de couleur, Samuel entra le code qui ouvrit la porte. Impossible de comprendre la nature exacte de son pouvoir, mais il lui avait permis de connaître le code. Peut-être pouvait-il lire des données informatiques ? Ou alors il avait modifié le code pour mettre celui qu’il désirait ? De toute évidence, il avait tout comme Isabella le pouvoir d’agir sur des machines. Elle était plutôt impressionnée.

Ils vérifièrent qu’il n’y avait pas de caméra à l’intérieur et Samuel invita Isabella à entrer avec lui. Ils s’avancèrent prudemment dans la clinique. Isabella craignait de se retrouver face à quelqu’un du personnel, mais toutes les lumières éteintes indiquaient bien que les lieux étaient déserts. On n’y voyait pas grand-chose à l’intérieur, et cela paraissait bien trop risqué d’allumer les lumières. D’un ton extrêmement bas, Isabella questionna :

- Tu veux que je t’éclaire avec mon téléphone ? Ou tu préfères que je reste vers la porte pour te prévenir si quelqu’un arrive ?

Être rentré aussi facilement relevait déjà du prodige pour Isabella mais ses craintes ne diminuaient pas. Elle se sentait à la fois excitée d’enfreindre ainsi la loi et terrifiée à l’idée de se faire prendre. Elle se contenta d’attendre les instructions de son voisin pour ne pas commettre d’erreur.

Isabella fit la moue lorsque le jeune homme lui dit qu’il ne fallait pas toucher à l’argent. C’était tentant, mais s’il estimait qu’il était plus prudent de le laisser, elle n’insistait pas, malgré sa déception… Par contre elle protesta lorsqu’il lui proposa son aide pour payer le vétérinaire :

- Ah bah non, tu vas quand même pas m’aider à payer le véto ! T’en as déjà fait bien assez ! Et t’inquiète pas avec mon vétérinaire habituel, je peux m’arranger.

Tandis que Samuel imprimait des documents, Isabella se concentra sur les factures. Elle ne pensait qu’à faire disparaître la sienne, mais son complice voulait allait bien plus loin. Il lui demanda de récupérer celles qui chiffraient le plus pour trouver les escroqueries du vétérinaire. La jeune femme contempla ahurie certaines factures où les gardes de chiens ou de chats duraient parfois jusqu’à un mois. De toute évidence, elle n’était pas la première à se voir retenir son animal en otage et comme elle l’avait craint pour elle-même cela faisait considérablement gonfler la facture. Samuel mit également son nez dans les factures et repéra bien vite des incohérences notables. Il interpella l’italienne en l’appelant « Bella ». Peu de gens l’avaient appelée comme ça dans sa vie à part des amis proches ou des conquêtes. Elle en fut agréablement surprise. Commettre un cambriolage ensemble resserrait visiblement les liens. Il lui indiqua des différences de tarifs pour les jours de garde. Elle en fut estomaquée. Samuel avait eu le nez pour sentir l’arnaque chez ce vétérinaire, tandis qu’elle ne s’en serait même pas douté.

- Putain c’est abusé… C’est exactement ça qu’il a fait pour moi le salop. Il sait bien qu’on est prêt à tout pour nos animaux… Il en profite et pas qu’un peu… C’est déguelasse.

L’américain révéla son nouveau plan pour faire tomber le gérant de la clinique. Toujours aussi bien ficelé. Isabella se posait tout de même une question :

- Tu comptes révéler ça comment ? On est pas censés se trouver là et avoir mis la main sur ses documents. C’est nous qui sommes en tort officiellement. T’as un moyen anonyme de révéler les factures, de les faire parvenir à un contrôleur fiscal ou autre ?

Elle s’attela avec application à sa tâche, prenant en photo avec le téléphone de son ami différentes factures, les plus « réglos », comme les plus frauduleuses, pour qu’il n’y ait aucun doute sur la différence aberrante de tarifs. Une fois cela fait, elle glissa sa propre facture dans sa poche qui devait n’avoir jamais existé et remis tout le reste en ordre. Elle rendit à Sam son téléphone, rangea le classeur là où elle l’avait trouvé, replaça la petite boîte et le contreplaqué qui la dissimulait dans la bibliothèque, non sans un regret pour tout l’argent qui s’y trouvait. L'américain l’appela ensuite pour lui proposer d’envoyer les mails de l’amante à la femme du vétérinaire. Elle s’approcha avec un grand sourire sadique :

- Avec grand plaisir ! Tu me fais honneur, haha ! C’est dommage pour les photos oui, mais entre ça et les factures, je pense qu’on lui ruine déjà bien assez la vie. Il peut bien garder quelques secrets… Il est foutu.

Elle cliqua sur la souris avec un sentiment pervers de satisfaction. Samuel se chargea d’éteindre l’ordinateur et de tout remettre en place. Normalement, il ne restait aucune trace de leur passage. Ils reprirent la direction de la sortie, leur vengeance dans la poche.

Arrivés dehors, éloignés de la clinique, sains et saufs, l’italienne n’en revenait pas. Elle se demandait presque si elle n’avait pas rêvé, mais tout cela était bien arrivé. Elle venait de cambrioler une clinique vétérinaire avec un voisin qu’elle ne connaissait même pas depuis deux mois. La vie réservait bien des surprises. Elle ne pensait pas d’ailleurs qu’elle se prendrait tant au jeu de faire tomber un escroc. Cette sortie avait aussi effrayante qu’amusante. Elle était encore toute excitée et l’idée de retrouver Talys le lendemain après la semaine qu’elle venait de vivre lui procurait une joie folle. Elle tapa amicalement dans le dos de son complice.

- J’en reviens toujours pas… T’as assuré Sam. Merci pour tout. Merci pour Talys. Merci pour tous les patients qui se sont fait avoir par cet enfoiré de véto… Mmh… Maintenant qu’on est tirés d’affaire… Tu m’expliques ton pouvoir ? J’avoue que j’ai pas tout compris, mais ça a l’air sacrément pratique !

Cette question la titillait trop pour qu’elle ne la pose pas.