Un regard partagé [Pv Isabella]

Cela faisait trois semaines qu’Isabella avait récupéré Talys suite à son accident, trois semaines qu’elle s’était introduite par effraction chez le vétérinaire avec Samuel pour récupérer sa chienne. Talys se remettait bien. Il lui restait encore quelques jours avec son attelle à la patte, mais elle gambadait déjà comme si de rien n’était. Dans sa boîte aux lettres, Isabella avait trouvé un journal dans lequel l’affaire du vétérinaire frauduleux était mise au jour. La photo du vétérinaire était couverte d’un smiley clin d’œil qu’elle devinait ajouté par la main de Sam. Elle n’était pas peu fière de ce qu’ils avaient accompli. Tous les clients qui ne pouvaient payer leur facture avaient enfin pu récupérer leurs animaux et la clinique était fermée pour durée indéterminée le temps d’un changement de gérant. Grâce à eux, il n’y aurait plus de victime de l’ancien vétérinaire véreux.

Depuis, les deux complices s’étaient revus quelques fois, notamment pour fêter ça. Leur dernière rencontre avait été pour le moins imprévue. L’italienne avait reçu un appel de son voisin depuis le poste de police et elle avait payé la caution pour le faire sortit de là. Au moins, ils étaient quittes. Elle avait été soulagée d’avoir une occasion de lui rendre la pareille, car elle n’aimait pas se sentir tant redevable envers quelqu’un. Sam l’avait aidée à deux reprises dans des situations vraiment compliquées pour elle. Lorsqu’elle avait décroché, elle avait paniqué, pensant qu'il avait été arrêté pour l’affaire du vétérinaire, mais il s’agissait de tout autre chose. L’américain n’avait pas voulu s’étendre sur l’affaire et malgré sa curiosité, Isabella n’avait pas insisté pour en savoir plus car elle commençait à connaître son voisin et ses cachotteries. Peut-être finirait-il par lui révéler plus tard, comme il l’avait déjà fait pour d’autres secrets, et comme elle attendait toujours pour son pouvoir qui restait un mystère pour elle.

Quelques jours auparavant, un feu d’artifice avait été tiré à Blanchisa pour l’ouverture du marché de noël. Isabella, de service au café, n’avait pu y assister, à regret. Lorsqu’elle en avait parlé à son ami, il lui avait proposé d’aller avec elle à la plage dès qu’elle aurait une soirée de libre. Elle n’avait pas vraiment compris le rapport, ni en quoi cette sortie allait rattraper le feu d’artifice manqué, mais elle avait accepté de bon cœur.

Dans la brise de décembre, les derniers rayons de soleil laissant une tâche rosée à l'horizon, ils arrivèrent sur la plage, la jeune femme emmitouflée dans un long manteau beige et dans une épaisse écharpe émeraude. L’endroit était désert, animé seulement par le bruit des vagues et de quelques mouettes qui s’aventuraient par là. Sam remercia encore l’italienne pour l’avoir fait sortir de garde à vue et expliqua un peu plus ce qui était arrivé. Isabella eut un sourire en coin en l’écoutant :

- Haha, t’en loupes pas une ! Ils t’ont pris pour un kidnappeur d’enfants ?! Allez, va, disons que je te crois ! Et t’en fais pas, c’est bien normal. J’avais encore une dette envers toi. Maintenant on peut considérer qu’on est quitte.

Connaissant à présent mieux que personne les talents de cambrioleur du jeune homme, elle avait comme un doute sur la véracité de son histoire, mais elle ne le questionna pas plus, se contentant d’un petit clin d’œil complice. Il lui dit ensuite qu’ils étaient arrivés à destination et que ce serait parfait pour lui montrer. Isabella était plus intriguée que jamais. Ils étaient au milieu du sable, la vue sur la mer, mais l’endroit où ils s’étaient arrêtés n’avait rien de particulier. Il lui demanda ensuite s’il elle souhaitait une explication simplifiée ou complexe. Avide de savoir, la jeune femme lui répondit avec entrain :

- Je veux tout savoir !

Isabella hésita un instant avant de s'asseoir à son tour dans le sable aux côtés de Sam en s'assurant de s'installer sur sa veste pour rester au sec et au chaud. Elle sourit encore en entendant l'américain dire qu'il n'y pouvait rien s'il avait une tête de kidnappeur d'enfants aux yeux de la police. Au moins le voisin avait pu retrouver son fils. C'était une bonne nouvelle, même si Isabella n'appréciait pas trop le boucan que faisait le gamin à chaque fois qu'il passait dans la cage d'escaliers. Il avait également la manie de vouloir câliner Talys quand il la voyait, ce qui faisait aboyer la chienne craintive qui comme sa maîtresse n'appréciait guère les enfants. La jeune femme ne put s'empêcher de lâcher d'une voix cynique :

- Youpi... Le retour de la marmaille bruyante dans la cage d'escaliers... Hum... Pardon, c'est plutôt une bonne nouvelle. Disons que Talys est pas trop fan des enfants... Et moi non plus, j'avoue...

Elle s'était sentie obligée de se justifier réalisant la dureté de ses paroles alors qu'un enfant venait d'être retrouvé. Le regard fixé sur les dernières lueurs à l'horizon alors que l'obscurité les enveloppait à présent, elle écoutait Sam, avide de découvrir son pouvoir. Elle revit mentalement le fil de la soirée à la clinique vétérinaire à la lumière de cette révélation, comprenant enfin comment Sam avait pu s'en sortir aussi facilement pour trouver le système d'alarme et les différents codes informatiques.

- Waah... Je comprends mieux maintenant ! … Du coup, ça veut dire que tu dois être à l'endroit où a eu lieu l'événement pour le revoir ?

Ses neurones en pleine effervescence pour assimiler le fonctionnement du pouvoir de son ami, Isabella comprit soudain la raison de leur présence ici.

- Eh mais attends... Tu peux... partager ta vision ? Ça veut dire que tu vas me faire voir le feu d'artifice ?

Le regard de l'italienne venait de s'illuminer comme celui d'un enfant qui découvre la pile de cadeaux sous le sapin de noël. Malgré sa déception, elle s'était fait une raison pour le feu d'artifice, se promettant d'assister au prochain. Mais voilà qu'il y avait peut-être un moyen de le revoir. La magie comme dans les contes de fées.

Isabella pouffa dans son écharpe lorsque Sam suggéra qu'il pouvait toujours remettre l'enfant où il l'avait trouvé si elle désirait. Il n'était peut-être pas non plus adorateur des enfants, ce qui leur faisait un point commun. Ils redevinrent plus sérieux pour parler de son pouvoir. Le jeune homme lui confirma qu'il pouvait observer ce qui s'était passé dans un certain rayon autour de lui. Elle avait tapé dans le mille en supposant qu'il pouvait partager sa vision. Pourquoi l'aurait-il amené ici sinon ? Samuel prit un air boudeur parce qu'elle venait de lui briser son effet de surprise. Isabella lui jeta un regard suppliant et prit une petite voix enfantine :

- Oh, allezzzz, s'il te plaiiit, fais pas la tête ! On est quand même pas venus ici pour rien !

Samuel éclata de rire avant de tendre sa main à l'italienne tout en lui expliquant le fonctionnement de la vision partagée. Elle saisit la main tendue avec impatience sans la moindre appréhension. Jamais encore elle n'avait pu essayer le pouvoir d'un autre. L'expérience s'annonçait palpitante. Ses yeux allaient devenir jaunes comme ceux de son ami à la clinique vétérinaire ? Incroyable, elle ne voulait pas manquer ça. Elle contempla les alentours, découvrant tout près d'eux les silhouettes d'un couple qui marchait tout près d'eux. De nombreuses autres silhouettes les entouraient, assis pour la plupart dans le sable, probablement celles de ceux qui étaient venus admirer le feu d'artifice avant eux. Avant que le feu d'artifice ne commence, elle sortit son téléphone portable, activa l'appareil photo et le braqua en l'air au-dessus d'eux pour les prendre en selfie :

- Souriezzz, le petit oiseau va sortir !

Elle fit un immense sourire et sans demander l'avis de son voisin, elle actionna l'appareil avant de s'empresser de regarder le résultat tout en le montrant à Sam. Ça lui faisait un drôle d'effet de se voir avec un regard brillant qui avait été renforcé par le flash du téléphone. Elle ne pouvait s'empêcher de penser à sa mère dont les yeux changeaient de couleur au gré de ses émotions.

-Ça me fait penser à ma mère... Ses yeux changent de couleur sous le coup de l'émotion. Quand j'étais petite...

Elle n'acheva pas sa phrase, car le premier feu d'artifice s'élançait dans les airs. Elle s'absorba au spectacle, contemplant les explosions de toutes les couleurs illuminer le ciel. Ils restèrent silencieux de longues minutes, main dans la main, comme un petit couple, jusqu'à la fin des éclats lumineux.

- Wah... C'était génial... Merci Sam.

Elle n'avait pas lâché sa main, plongeant son regard doré dans le sien pour faire durer encore quelques secondes la magie, toute émerveillée.

Isabella éclata de rire lorsque Samuel avoua qu’on l’avait pris une fois pour un cannibale à cause de la couleur de ses yeux.

- Un kidnappeur d’enfants… Un cannibale… On te les aura toutes faites ! Avec tes yeux jaunes et tes cheveux blancs… moi j’aurais plutôt dit un vampire !

Elle le regardait avec un sourire taquin, avant d’être coupée par le commencement du feu d’artifice. Elle remercia ensuite le jeune homme qui lui dit que c’était lui qui faisait ça pour la remercier et pas seulement pour ses beaux yeux… Quoique… Les joues d’Isabella s’empourprent légèrement à son compliment et à la main qui vint caresser sa joue. Son visage approcha du sien. Wooow ! Qu’est-ce qu’il faisait ?! Des voyants rouges se mirent à clignoter dans le cerveau d’Isabella. Elle ne l’avait pas vu venir celle-là, et s’il y a bien une chose pour l’insupporter c’est de ne pas contrôler la situation. Mais là tout de suite, pas le temps de réfléchir… Juste ce visage qui approche… et… Isabella ferma les yeux, s’attendant à sentir les lèvres de Sam effleurer les siennes… Au lieu de ça, elle sentit une masse s’affaler sur ses cuisses.

Elle rouvrit les yeux en sursaut pour découvrir la tête de Sam posée sur elle. S’était-il évanoui ? Endormi ? Cela était probablement dû à l’utilisation de son pouvoir. Isabella priait pour qu’il aille bien et revienne vite à lui, et en même temps… après ce qui venait de se passer, elle remerciait le ciel pour ce soudain échappatoire qui lui laissait du temps pour cogiter. Elle ne prit pas le risque de déplacer la tête de Sam, se disant qu’il serait plus au chaud la tête sur ses genoux que sur le sable, et au moins elle ne risquait pas de troubler son sommeil s’il était endormi.

Avait-il réellement tenté de l’embrasser ? Avec sa main sur sa joue, son regard plongé dans le sien, son visage qui s’était approché… Difficile d’imaginer autre chose. Mais Samuel était quelqu’un qui réservait bien des surprises. Peut-être avait-il agi bizarrement à cause des contre-effets de son pouvoir ? Isabella se sentait étrangement chamboulée. Elle n’avait eu aucune arrière-pensée dans sa relation avec Samuel depuis qu’ils s’étaient rencontrés, ce qui était plutôt rare avec un jeune homme de son âge, mignon qui plus est… Sûrement parce que nombre de leurs rencontres avaient été imprévues et dues à une urgence de l’un ou de l’autre. Pas le contexte idéal pour songer à draguer. Isabella se questionna réellement pour la première fois sur la nature de leur relation. Ce n’était pas qu’un simple voisin, sans aucun doute, ils avaient déjà partagé trop de choses pour ça. Elle le considérait comme un ami, une personne de confiance sur qui elle pouvait comptait. Certainement pour cette raison qu’elle n’avait jamais envisagé de coucher avec lui, parce qu’en général les hommes avec lesquels elle couchait étaient de passage dans sa vie… et Sam… Elle ne voulait pas qu’il soit de passage. Elle l’appréciait sincèrement.

Le jeune homme se redressa, faisant perdre à Isabella la chaleur qu’il lui apportait en étant couché sur elle. De n’avoir pas bougé depuis une bonne demi-heure, assise dans le sable, le froid commençait à s’engouffrer sous ses vêtements pour lui pénétrer les membres. Elle frissonna tout en écoutant Samuel lui expliquer qu’il était épuisé par son pouvoir et allait avoir besoin de sommeil.

- Allez, direction maison ! J’commence à avoir froid en plus… Besoin d’un coup de main ?

Elle s’était relevée et tendait la main à son compagnon pour l’aider à se relever s’il était trop affaibli. Elle s’efforçait d’agir normalement, tout en se demandant si Samuel avait souvenir des quelques secondes avant son évanouissement.